« Un tropisme local avait placé entre mes mains le livre de R. L. Stevenson : Voyage dans les Cévennes avec un âne. Je ne dis pas l’avoir lu, mais feuilleté tout au plus. Tout ce que je peux dire c’est que je l’ai bien parcouru. Je ne sais donc plus ce qui a motivé, dans un voyage déjà hasardeux, un long détour vers le Nord-Est. Toujours est-il, qu’afin de suivre l’itinéraire de l’Écossais, je décidai de rajouter plusieurs jours à notre périple. Je ne pris ni notes ni photographies durant ce voyage qui me vit arriver en quinze jours à C… (Pyrénées Orientales).

De ce parcours, il me restait remarquablement peu de souvenirs. Et cette absence m’étonnait car j’y voyais une étape importante dans l’entrelacement de sentiers parcourus où l’on aime voir un chemin de vie. Il est vrai que la mémoire aime à dresser des cartes a posteriori.

C’est à B…, alors que je terminais un récit sur l’Éthiopie que je décidai d’entreprendre un second voyage, autant sur mes traces que sur celles de Robert Louis Stevenson. Je pensais qu’en arpentant le même chemin, je ne manquerais pas de faire surgir, au pas régulier d’un solide marcheur, ces souvenirs anciens.

[…] Un récit devait naître de ces trois voyages entremêlés et de ma tentative, en flanant parmi leurs décors, de faire renaître les souvenirs qui s’y étaient déroulés – tant les miens que ceux de Robert Louis. Roulant dans la même poussière, on peut croire un temps à l’alchimie – cette crasse sous mes ongles : paillettes d’or.

J’escomptais un règlement de la mémoire par un règlement des sens. Les échos des sentiments vécus en 1994 devaient me parvenir du fond des combes Cévenoles où ils étaient restés tapis. Devait apparaître en ce miroir le reflet de souvenirs embaumés et de paysages idéalement nostalgiques en leurs livrées automnales. J’allais retrouver – c’était sûr – l’empreinte, sur les sables mouvants du passé, des pas d’un cheval blond. Échos d’un écrivain victorien et d’un sauvageon romantique maniant la littérature comme la fourche. Et peut être en aurait-t-il été ainsi si j’avais choisi une autre date de départ. En ce miroir il y eu une fêlure.
[…] C’est l’histoire d’une démarche contrariée, d’une trajectoire déviée. C’est un journal qui commence le 12 septembre 2001. »

(An extract from Ces pas qui trop vite s’effacent, Yves Marie Stranger,  L’Archange Minotaure). Read more